Le varroa est, parmi d’autres facteurs, responsable du déclin des abeilles mellifères. Son impact est tel que les apiculteurs doivent sans cesse trouver de nouveaux moyens de lutte et adapter leurs pratiques afin de préserver au mieux la santé de leurs colonies. L’apiculture est devenue très technique notamment du fait de la gestion de ce parasite.

Cet article synthétise une présentation à laquelle j’ai pu assister où le Dr. Samuel Ramsey présentait les résultats de son travail sur varroa. Pour plus d’informations détaillées (j’ai omis quelques points trop techniques pour faciliter et rendre plus agréable la lecture) je vous invite à vous référer à son article ici. Comme toute publication internationale, cet article est en anglais… Mais même si vous n’aimez pas la langue de Shakespeare, allez la voir, les photos à l’intérieur sont d’une qualité incroyable. Que pensez vous d’ailleurs de ce varroa coupé en deux présenté tout en haut de cet article? Magnifique, non? Plusieurs autres photos tirées de la publication sont utilisées dans cette synthèse avec l’accord de l’auteur!

Alors haut les cœurs, préparer vos gants et votre combinaison, nous allons plonger dans la ruche pour étudier en détail cet ennemi des abeilles !

Abeille jaune

C’EST QUOI LE VARROA ?

Varroa vue de dessus

Mais tout d’abord un petit rappel sur varroa. C’est un petit acarien visible à l’œil nu, de couleur brune. Sa face dorsale est couverte d’une épaisse cuticule appelé bouclier dont la forme ovale permet de bien reconnaitre les varroas sur les plateaux en cas de comptage sur lange par exemple.

Il est doté de 8 pattes dont deux un peu plus longues qui lui servent d’organe sensoriel notamment pour repérer les abeilles ou une larve dont la cellule va bientôt être operculée.

Depuis plus de quarante ans ce parasite est apparu dans les ruches françaises. Et il a un impact considérable.

Et c’est rien de le dire ! Dès qu’il arrive dans un nouvel endroit (comme à La Réunion en 2019 par exemple) son effet se fait sentir. Les mortalités de colonies grimpent en flèche et pour les ruches survivantes, la production de miel baisse.

Une partie de son impact négatif vient du fait qu’il se fixe sur les larves d’abeilles et s’en nourrit empêchant ainsi leur bon développement. Mais là où le problème s’aggrave c’est que ce parasite est porteur d’au moins 5 virus pouvant infecter l’abeille (virus de la paralysie chronique, virus du couvain sacciforme…)

L’aire d’origine du varroa est l’Asie où il cohabite très bien avec Apis cerana, la cousine d’Apis mellifera. Ces colonies asiatiques parviennent sans problème à maintenir le niveau d’infestation de varroa tel que la bonne santé de la ruche et sa productivité ne soient pas diminuées. Alors comment expliquer cette différence d’impact ?

Apis cerana et varroa ont co-évolué depuis des milliers d’années. Et les règles de colocation sont très claires entre l’hôte (l’abeille) et le parasite (varroa). Varroa est visiblement autorisé à se reproduire dans les cellules de couvain mais uniquement s’il s’agit de larves de mâles. Si un varroa est surpris à s’introduire dans une cellule d’ouvrière, il est repéré. La cellule est désoperculée et l’individu mis dehors ou tué. Apis cerana, contraitement à notre abeille, est capable de tuer varroa grâce à ses mandibules.[1]

Abeille jaune

POURQUOI EST-IL DOMMAGEABLE POUR LES ABEILLES ?

Une progression continue de ce parasite dans le monde

La présence de varroa s’est généralisée et son impact vient s’ajouter aux autres perturbations auxquelles doivent faire face les abeilles (pesticides, changement climatique….) [2]

Tout cela conjugué mène à des colonies plus faibles et moins bien organisées. Les récoltes qu’elles sont capables de faire sont de fait plus faibles et le taux de mortalité plus important.

La clé du mystère : ce que mange le varroa ?

Depuis près d’un demi-siècle, les chercheurs se penchent sur cet ennemi des abeilles. Voir depuis encore plus longtemps dans des zones comme la Russie où il est arrivé dès 1900. D’ailleurs en reprenant les travaux des scientifiques russes il y a eu quelques erreurs de traduction qui ont menées à longtemps admettre que varroa prélève de l’hémolymphe sur l’abeille.

Comprendre ce que mange le varroa n’était de plus pas la priorité des chercheurs à l’époque. Le but était surtout de trouver une technique de lutte efficace pour endiguer la crise à laquelle faisant face les apiculteurs.

Pourtant plusieurs résultats d’étude ne permettaient pas d’expliquer certains symptômes dus à varroa comme le raccourcissement de la vie des abeilles, la diminution de l’efficacité de leur système immunitaire, leur tolérance réduite aux pesticides notamment au stade larvaire…

C’est la raison pour laquelle le Dr Sammy Ramsey a décidé d’orienter ses études vers ce dont se nourrit réellement varroa. Et les résultats sont édifiants : il se nourrit principalement du corps gras des abeilles et pas d’hémolymphe !

Il a démontré cela grâce à des produits fluorescents se fixant soit sur le corps gras soit sur l’hémolymphe. Les photos ci-dessous illustre cette expérience :

legende_experience_varroa

Lorsqu’il y a de l’hémolymphe c’est la couleur jaune qui apparaît, comme dans la première rangée de photo où c’est de l’hémolymphe d’abeille qui est montrée. Et lorsque c’est du corps gras, il ressort en rouge comme sur la deuxième rangée de photo où c’est du corps gras d’abeille qui est étudié. La dernière rangée de photos montre le résultat obtenu sur un varroa venant de se nourrir sur une abeille : il ressort quasiment entièrement rouge. C’est donc qu’il a prélevé le corps gras de l’abeille.

Au passage, cela permet d’expliquer la présence d’organe de « digestion extra-orale » chez varroa. N’ayant pas de dents ou de système digestif qui lui permettrait de digérer autre chose que du liquide, varroa utilise sa salive pour « pré-digérer » sa nourriture avant de l’avaler.

Il injecte de la salive dans l’abeille afin de « liquéfier » le corps gras et l’aspire ensuite. Ses organes de production de salive sont d’ailleurs extrêmement impressionnant par leur taille !

Et c’est d’ailleurs cette injection de salive qui est responsable de la transmission de virus à l’abeille.

Et le corps gras chez l’abeille, à quoi ça sert ??

Toutes ces recherches du Dr Ramsey montrent donc que varroa ne se contente pas de transmettre des virus en buvant le sang des abeilles comme le ferait une tique sur un chien mais qu’il prélève un élément essentiel à la bonne santé de l’abeille : le corps gras.

Cela a pour conséquence une toute nouvelle compréhension de l’impact de varroa. En effet, il est connu que le corps gras joue un rôle extrêmement important chez l’abeille. A savoir :

  • La bonne marche du système immunitaire

  • La longévité accrue des abeilles d’hiver (qui ont plus de corps gras)

  • La filtration des pesticides et autres poisons auxquels sont soumises les abeilles.

Le rôle du corps gras est tellement important qu’il pourrait être comparé à celui du foie chez les mammifères.

Et visiblement le varroa a bien compris tous les bienfaits qu’il pourrait trouver à se nourrir de corps gras. D’ailleurs le Dr Sammy Ramsey a comparé la longévité et le taux de reproduction des varroas en les nourrissant soit avec de l’hémolymphe, soit avec du corps gras. Et ceux du groupe nourri au corps gras avaient une durée de vie augmentée et un nombre d’œufs pondus plus important.

Et là où il y a un vrai problème pour l’abeille c’est qu’il semblerait qu’une fois parasitée par varroa à l’état larvaire, elle ne soit plus capable d’utiliser le pollen qu’elle consomme pour synthétiser les protéines et lipides dont elle a besoin pour restaurer son corps gras. En bref : un impact sur le long terme !

Où se fixe varroa lorsqu’il est sur l’abeille ?

L’image habituelle pour présenter varroa est celle-ci :

Varroa_dos_abeille

Et il arrive en effet de voir des varroas sur le dos d’abeilles dans nos ruches. Pourtant un autre point intéressant de l’étude du Dr Ramsey présente les localisations où ont été trouvé les varroas sur les abeilles et le résultat est sans appel :

Repartition_varroa_sur_abeille

Le varroa sur le dos de l’abeille est l’exception et la majorité d’entre eux sont trouvé sur la face ventrale de l’abeille et particulièrement là où la teneur en corps gras est importante. Intéressant !

Autre élément concernant les varroas trouvés sur le dos des abeilles plutôt que leur ventre : leur comportement est un peu spécial. Pendant que ceux fixés sur la face ventrale sont bien cachés sous un sternite ou un tergite (« écaille » de protection de l’abdomen de l’abeille), ceux trouvé sur le dos de l’abeille ont leurs pattes levées en l’air.

Ces pattes sont les éléments sensoriels de varroa. Grâce à elles il repère l’odeur des abeilles et des larves prêtes à être operculées. Ce comportement de mise en action de ces pattes suggère donc qu’à cette position il cherche à changer d’hôte.

Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer une des photos faites au microscope à balayage électronique d’un varroa fixé sur le ventre d’une abeille. On peut noter au passage que la répartition des poils chez varroa et chez l’abeille sont assez similaire. Varroa utilise une très bonne technique de camouflage : imiter son hôte pour se fondre dans la masse.

Le stade phorétique sans nourrissement remis en question

Cette répartition des varroas principalement là où le corps gras est fortement présent chez l’abeille suggère donc que ces sites sont utilisés pour se nourrir. Or, le terme phorétique est un mot compliqué pour désigner une interaction entre deux individus où l’un transporte l’autre. Sans notion de prélèvement de substance au passage. Et c’était encore l’hypothèse habituellement admise : varroa ne se nourrit pas sur l’abeille adulte.

Mais en analysant au microscope à balayage électronique les sites d’implantation de varroa (caché sous une écaille d’abeille), le Docteur Ramsey a trouvé ceci :

Blessure_abeille_varroa
zoom_blessure_abeille_varroa

Une beau trou pile à l’endroit où se trouvait la bouche de varroa. Une nouvelle fois c’est très intéressant !

Abeille jaune

ET ALORS CONCRÈTEMENT POUR LA LUTTE CONTRE VARROA?

Ce nouvel élément dans la compréhension de varroa apporte un espoir dans la lutte contre sa prolifération. Il sera sans doute plus simple de trouver des traitements réellement efficaces contre ce parasite. Car rappelons-le : pour l’instant personne ne sait dire quel est l’effet exact de l’acide oxalique et pourquoi cette substance fonctionne contre varroa.

Mais la recherche scientifique a encore besoin de temps. Hélas !

En attendant, chaque apiculteur doit continuer à lutter de son mieux en

  • Connaissant son réel niveau d’infestation en réalisant des comptages

  • Traiter au bon moment et avec les bonnes techniques

  • Visiter ses ruches régulièrement pour réagir rapidement à tout changement de dynamise de ses colonies.

En attendant, n’hésitez pas à suivre le “Dr Sammy” sur Instagram! Comme ça vous serez au courant de ses dernières recherches…

Mes sources :

[1] Co-adaptation of Apis cerana Fabr. and Varroa jacobsoni Oud.Apidologie 30 (1999) 97-110

[2] Sélection de colonies résistantes à Varroa – Delphine Panziera, Tjeerd Blacquière Method June 2019 Abeilles et Cie

[3] Varroa destructor feeds primarily on honey bee fat body tissue and not hemolymph

[4] A multi-microscopy approach to discover the feeding site and host tissue consumed by varroa destructor on host honey bees